“J’aime l’extravagance, le feu solaire, la légèreté de Scarlatti, qui partage avec Chopin la même science de l’ornementation, la recherche du beau son et le rapport intime au public”, confiait récemment Alexandre Tharaud.
Après son Journal intime consacré à Chopin, le pianiste français poursuit avec ce nouveau disque une démarche artistique sensible et cultivée.
« A la suite de mes disques Bach, Couperin et Rameau, il m’a semblé cohérent d’enregistrer leur contemporain Domenico Scarlatti. De ces quatre compositeurs c’est à mon sens celui dont la musique est la plus proche du piano. Elle a bien sûr été écrite et pensé pour le clavecin – les premiers pianofortes ne l’ont apparemment pas intéressé – mais elle sonne de manière évidente sur un piano moderne. » Alexandre Tharaud.
Scarlatti au piano?
À une époque où le revival baroque a imposé une approche rigoureusement musicologique des œuvres des 17ème et 18ème siècles, et un retour à l’interprétation sur instruments d’époque, une telle démarche pourrait sembler audacieuse. Mais Alexandre Tharaud est de ces artistes libres et singuliers qui préfèrent la musique à la philologie et s’abandonnent à leur inspiration sans se soucier des modes. “Je ne suis pas sûr que l’authenticité passe par un instrument donné. Mais par la manière de redonner vie à une musique… En outre, les musiciens baroques nous ont enseigné la liberté, le culot dans les tempi et l’ornementation… Alors, profitons-en !” Confiait-il à Télérama.
Pour ce nouveau disque, le pianiste français a sélectionné dix-huit sonates que Scarlatti a originellement écrites pour le clavecin. S’il est un éminent représentant de la culture baroque – il est né à Naples la même année que Bach et Handel -, Scarlatti est également considéré comme un précurseur de la composition pour clavier à laquelle il a consacré l’essentiel de sa carrière : concises, marquées au sceau d’une inventivité rythmique et mélodique inouïes, traversées par des échos subtils de musique hispanique, ses quelque cinq cent cinquante-cinq sonates ont littéralement renouvelé le genre. En interprétant ces pièces sur un instrument moderne, Alexandre Tharaud fait ressortir la modernité de ce compositeur, tout en s’inscrivant dans une tradition très française qui n’est pas sans rappeler la carrière d’illustres devancières, telles qu’Yvonne Lefébure ou Marcelle Meyer. « J’aime l’extravagance, le feu solaire, la légèreté de Scarlatti, qui partage avec Chopin la même science de l’ornementation, la recherche du beau son et le rapport intime au public », confiait-il récemment. Or Journal intime, le précédent disque d’Alexandre Tharaud, était consacré à Chopin: c’est dire si ce nouveau récital procède d’une démarche artistique éminemment sensible, personnelle et cultivée.
Les interprétations d’Alexandre Tharaud dépassent d’ailleurs le clivage entre effusion romantique et respect à la lettre de la musicalité baroque. Ainsi, le site Classique News saluait-il cet « énoncé simple et naturel, [cette] précision perlée qui rapprochent Chopin de la grâce baroque de Couperin, Bach ou Rameau », tandis que le New York Times déclarait : « À entendre le jeu vivement articulé et comme gravé à l’eau-forte de M. Tharaud, le spectateur pourrait penser qu’il est un spécialiste du baroque qui, pour une raison ou une autre, a préféré le piano moderne au clavecin ».
Lors de la saison 2009-2010, Alexandre Tharaud a eu maintes occasions de mettre en regard les œuvres de Chopin et de Scarlatti, lors d’une tournée qui l’a notamment mené à Genève où il n’a suscité que des louanges : « Le voilà qui revient «en grand», avec Scarlatti et Chopin au bout des doigts. Et sa douceur, sa clarté et sa générosité retrouveront naturellement au clavier toute leur évidence… Une façon de soulever les parentés dans la différence des expressions et des époques. Avec comme source commune l’univers baroque qui rejaillit partout où la
codification est source de liberté. À ces deux déracinés, Alexandre Tharaud offrira donc une même terre, riche et raffinée », pouvait-on lire dans La Tribune de Genève.
Sans jamais céder à une virtuosité ostentatoire, Alexandre illumine les humeurs variées de ces sonates, tour à tour badines, piquantes et mélancoliques. Plus « aristocratique et sensuel » que jamais, ainsi que le présentait le magazine anglais Gramophone. Toujours profond. Suprêmement élégant.