Dans ce deuxième récital pour Virgin Classics, Christina Pluhar et son ensemble L’Arpeggiata expriment la piété baroque chez les compositeurs italiens Sances et Merula, ainsi que dans les chants populaires napolitains et corses. Avec la complicité renouvelée de Philippe Jaroussky et de Nurial Rial, la maestra autrichienne nous entraîne à sa suite sur un Chemin de Croix exaltant.
Avec Teatro d’amore, paru en 2009, Christina Pluhar et son ensemble L’Arpeggiata signaient les débuts d’une collaboration exclusive avec Virgin Classics.
Consacré à la musique profane de Monteverdi, ce premier disque faisait souffler sur les extraits du Couronnement de Poppée et du Combat de Tancrède et de Clorinde, ainsi que sur quelques canzonette, un vent de folle liberté qui n’avait d’égal que la maîtrise de la rhétorique musicale prébaroque. La harpiste et luthiste autrichienne y faisait swinguer les voix cristallines de Nuria Rial et de Philippe Jaroussky en une sorte d’enivrante jam session baroque. La presse internationale n’a pas manqué de remarquer cet enregistrement atypique autant que jubilatoire. Ainsi pouvait-on lire dans Le Figaro : « L'ensemble L'Arpeggiata, créé en 2000, investit Monteverdi d'une éblouissante palette de couleurs vocales et instrumentales, sûr que le son, comme les pigments d'un tableau, constitue le médiateur de l'émotion. Son choix d'instruments grattés, frappés ou pincés fait feu de tout bois et de sons rares et entraînants. (…) Chaque pièce libère la danse et laisse s'échapper une sensualité enveloppante. Un concentré unique de vitalité éruptive”.
Selon The Times : « L’Arpeggiata de Christina Pluhar et ses amis peuvent vous étourdir de joie ». De même que le magazine allemand Spiegel s’exclamait : « Réveille-toi Monteverdi ! Cela fait longtemps que la musique classique n’avait prodigué de telles surprises ni embrassé des vues aussi vastes ».
Avec ce nouveau disque, Christina Pluhar se montre fidèle à sa réputation d’alchimiste musicale, soucieuse de mettre en lumière les affinités subtiles et méconnues qui unissent le répertoire baroque et la musique traditionnelle du bassin méditerranéen. Sous sa baguette, l’intrumentarium profus de L’Arpeggiata débride et ensorcèle les rythmes des chaconnes, tarentelles, folias et autres canarios. Dans Via Crucis, la maestra autrichienne s’est intéressée à l’expression musicale du sentiment religieux dans les compositions savantes et populaires de l’Europe méridionale. La Passion du Christ a en effet inspiré une ferveur similaire à des compositeurs tels que Giovanni Felice Sances (1600-1679) ou Tarquinio Merula (1594-1665) et aux musiques des rues de Naples ou de Corse.
Deux chefs-d’œuvre de la musique dévotionnelle italienne figurent au programme de ce disque : le Stabat Mater de Sances et la berceuse Hor ch’e tempo di dormire de Merula. Chanteur et compositeur, Giovanni Felice Sances s’est fait connaître à Rome, dont il était natif, avant de poursuivre sa carrière à Bologne et Venise. Embauché comme chanteur à la cour de Vienne, il devint Maître de la Chapelle Impériale en 1669, ce qui lui permit de faire connaître la musique italienne dans la capitale autrichienne, dont ses propres opéras, cantates et œuvres sacrées. Dans son Stabat Mater, déclamation et arioso tissent sur quatre notes de basse obstinée un lamento saisissant et hypnotique dans le pur style vénitien. Maître de Chapelle également, à Bergame et à Crémone, Tarquinio Merula a activement participé aux Laudi della Madonna, institution musicale dédiée à la Vierge. C’est dans ce contexte, sans doute, qu’il composa son extraordinaire berceuse funèbre : tout en tentant d’endormir son enfant, la Vierge pressent les horreurs de la Passion. Sobrement déployé sur les notes lancinantes d’une basse obstinée, le chant distille une angoisse sourde et hypnotique où le sommeil devient métaphore de la mort.
Pour l’accompagner sur ce Chemin de Croix, Christina Pluhar s’est de nouveau entourée de Nuria Rial et de Philippe Jaroussky, ainsi que de la chanteuse Lucilla Galeazzi, qu’elle décrit comme « la grande prêtresse de la chanson traditionnelle italienne », et du quatuor vocal corse Barbara Furtuna. Entre terreur sacrée et extase religieuse, angélisme baroque, tragique corse et gouaille napolitaine, Christina Pluhar fait de cette Via Crucis un festin de timbres et de couleurs où le dolorisme le dispute à la volupté.