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Dans ce second album consacré à la mélodie française des XIX et XXème siècle, - après Opium enregistré en 2009 - Philippe Jaroussky explore l’univers poétique de Paul Verlaine. Le poète résume sa philosophie dans les premières lignes de son célèbre Art poétique en 1974 : « De la musique avant toute chose » : la tonalité et la forme de chacun des vers enrichissent l’expression, ajoutant une résonnance particulière aux mots qui évoquent souvent un monde crépusculaire aux émotions ambiguës.
Ainsi, ce célèbre « De la musique avant toute chose » peut-il s'entendre comme un double projet : faire d'abord du poème une composition sonore, avec ses rythmes « impairs » et ses accords « solubles dans l'air » mais l'utiliser aussi comme point de départ à cette fusion des arts, chère aux parnassiens et aux symbolistes qui accordaient à la musique un rang prééminent. (B. Duteurtre)
Le poète René Chalupt tente d'expliquer : « L'originalité de Verlaine fut de faire entendre en ses poèmes une musique nouvelle. Avant lui le vieux vers français, puis le vers classique, puis le vers romantique, dans la mesure où il était musical, était basé sur les rythmes symétriques, sur la consonance et l'accord parfait. Verlaine y introduisit la dissonance, ce qu'il appelle lui-même dans une de ses poèmes "des accords harmonieusement dissonants" ou encore "un accord discord", le rythme irrégulier et capricieux… C'est une évidente affinité qui a poussé vers lui des musiciens tels que Fauré ou Debussy car on trouve dans le vers verlainien la même liberté, la même variété, la même subtilité rythmique qu'en leur musique. »
Verlaine a inspiré de nombreux compositeurs français, non seulement ses contemporains comme Debussy, Fauré, Massenet et Chabrier, mais aussi la génération suivante (Honegger et Varèse) jusqu’aux chanteurs à texte des années 40 aux années 70, tels Georges Brassens, Charles Trenet ou Léo Ferré.
Le titre de l’album se réfère au poème « Green » - auquel Verlaine a lui-même donné un nom anglais - tiré du recueil Romances sans paroles. D’ailleurs pas moins de trois versions différentes de ce poème figurent dans ce récital, de la plume de Debussy, Fauré et André Caplet.
Evoquant une mélodie de Reynaldo Hahn, Philippe Jaroussky précise que le poète et le compositeur « font sentir à la fois l’abstraction lunaire et la caresse allusive mais très charnelle à la bien-aimée. Verlaine ne sait pas écrire sans chair. »
Cette sensualité langoureuse n’est pas celle du répertoire baroque le plus souvent associé à Philippe Jaroussky. Lorsqu’il a enregistré Opium avec le pianiste Jérôme Ducros, son fidèle partenaire, il déclarait : « Beaucoup de gens vont probablement se demander pourquoi un contreténor chante ces mélodies. Lorsqu’on y réfléchit, la voix du contreténor en tant que telle n’a pas de répertoire propre, à part la musique contemporaine écrite spécialement pour elle. La plupart du temps nous chantons la musique écrite pour les castras dont les voix – comme on le sait- étaient très différentes des nôtres. Alors pourquoi ne pas s’aventurer vers d’autres univers musicaux si l’on a l’impression qu’ils sont faits pour notre voix ?».
« J’ai toujours ressenti une affinité particulière avec la mélodie française. Même si un chanteur se doit de maîtriser plusieurs langues, sa propre langue conserve toujours une saveur unique et encore plus le français, qui a tant de voyelles et de nuances secrètes …. Dans Debussy, Massenet ou Reynaldo Hahn, tout est question de nuance et de couleur ». C’est vers cette vision toute en délicatesse que Philippe Jaroussky a voulu tendre avec Green.
Si l’essence de la mélodie française peut paraître insaisissable, Forum Opéra l’évoque en ces termes lors de la parution d’Opium : « Son travail sur la diction, voulue proche de la voix parlée, donne aux poèmes tout leur sens. L’intelligence musicale et la longueur du souffle font en les étirant chanter chacune de ces mélodies au point que l’on se prend ensuite à les fredonner. Entêtantes, elles s’emparent de l’esprit pour ne plus le lâcher (...)»
Pour ce nouvel opus dédié à Verlaine et intitulé Green, Philippe Jaroussky et Jérôme Ducros sont rejoints par de merveilleux complices en musique, le Quatuor Ebène, et Nathalie Stutzmann pour un émouvant duo.